Tout art véritable vise à célébrer la beauté du monde. De ce fait, il est toujours une réponse et un antidote à l’obscurcissement du monde, un moyen de résistance contre la négation des valeurs les plus élevées, contre le nihilisme et tout ce qui travaille à nous détourner de la question de l’Etre, nous éloigner de l’essentiel, nous priver de l’espérance de la verticalité.
Si l’art «postmoderne» se caractérise souvent par une ambition trouble de transgression, d’ironie et d’horizontalisation abrutissante, refusant à l’homme toute chance d’échapper à la dictature de l’insignifiance, l’art figuratif de Rita Benjelloun en est l’exacte antithèse.
On entre dans la peinture de Rita Benjelloun comme dans un magnifique jardin hors du temps, un jardin édénique gagné sur la pesanteur, un enclos purifié et protégé où tout respire la paix et la sérénité, où nous est offert ce que l’art peut offrir de plus précieux, c’est à dire une possibilité de reconnexion avec l’essentiel, de ressourcement et de reconquête d’une intériorité authentiquement vivifiante.
Oiseaux, fleurs, poissons, la peinture de Rita Benjelloun, résolument onirique et fantastique, tourne volontairement le dos à la cruauté et au prosaïsme du monde, auquel elle oppose la figuration d’états édéniques et merveilleux. Symboles ici des vertus de l’âme, là de l’amour et de l’harmonie, les fleurs y sont omniprésentes. Le caractère liturgique de la nature est ici évident. Fleurs et oiseaux constituent autant de médiations entre le ciel et la terre. Symbolisant des mondes supérieurs, introduisant sans doute au monde de l’âme, ils enchantent l’oeil et l’esprit. Les tableaux de l’artiste apparaissent comme autant d’épiphanies d’un sens préexistant… à découvrir. C’est un hymne à la contemplation dans son acception la plus spirituelle. Une offrande de joie, de lumière pacifiée et de couleurs flamboyantes, contre le désarroi et l’errance de l’âme.
Dans l’ordre du regard, voir, observer, contempler constituent trois paliers initiatiques… Comme le mystique, le peintre doit en passer par ses trois opérations, seule la dernière lui donnant accès au monde de l’art. Produire de la beauté exige de nombreuses qualités morales, dont l’artiste ne manque pas. A la base de toute contemplation il y a la méditation, l’ascèse, l’attention. Le contemplatif ne parvient à cet état privilégié où l’on voit avec l’oeil du cœur qu’au terme d’une longue ascèse purifiante, laquelle seule l’autorise à voir les choses échappant à la génération et à la corruption. « Cum-templum », en latin, signifie voir à partir d’une aire sacrée, le temple étant cet espace délimité de telle sorte qu’il est coupé du monde profane. On trouve beaucoup d’oeuvres dans le travail de l’artiste qui empruntent au mandala leur structure et leur visée. On sait que le mandala est une « image psychagogique » qui a pour fonction de conduire celui qui le contemple à l’illumination. C’est un espace de méditation et de transformation de soi. La peinture de Rita Benjelloun est une peinture méditative qui met en scène les aspirations profondes et intemporelles de l’âme. Non seulement elle invite au recueillement, mais elle nous indique le chemin de la patrie sacrée pour qui a encore le cœur plein de merveilles. Elle est fondamentalement, osons le dire, apaisante, régénérante et thérapeutique.
Douceur, bonté, beauté, béatitude… En français, il est un mot qui fait se conjoindre la beauté et la bonté et c’est le mot « grâce », qui est d’ailleurs le stade suprême de la beauté. Le secret de l’oeuvre de Rita Benjelloun ne se trouverait-il pas dans l’alliance de la bonté et du goût de la beauté, dans la conjonction de la gustation du divers, de la recherche du bonheur et de l’attrait de la jouissance, de la « saada » et de la « ladhdha » ? Oui, la beauté sauvera le monde !
Adil Hajji
(philosophe et journaliste)